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Sur les traces des premières images

By octobre 20, 2021avril 28th, 2025No Comments

Saison 1 : Re-présenter

Sur les traces des premières images

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Photo : Agathe Design Studio, Lascaux, 2021, Tous droits réservés.

Depuis plusieurs millénaires, l’Homme cherche à représenter son environnement à travers des signes et des images. Comment les premières représentations graphiques traduisent-elles l’émergence de la pensée symbolique ? Afin de mieux comprendre cette énigme fondatrice, plongeons au cœur des origines de l’expression visuelle.

Si l’on considère que l’histoire de l’art et de l’homme sont indissociables, alors les termes « naissance » ou « origine » de l’art peuvent paraître inadaptés, bien qu’il s’agirait ici des fondements des premières images.

Tout d’abord, il convient de définir certains termes : l’art rupestre est souvent confondu avec l’art pariétal, mais aujourd’hui, les deux sont dissociés ; l’art rupestre désigne les productions sur les rochers en extérieur. À l’inverse, l’art pariétal était réalisé sur les parois des grottes. L’art mobilier, quant à lui, au Paléolithique supérieur, regroupe tous les objets portant un ornement, qu’il soit utilitaire ou purement décoratif. Après avoir précisé ces notions fondamentales, il convient d’examiner les œuvres préhistoriques parmi les plus anciennes connues.

Les premières œuvres : quelles sont les plus anciennes ?

Pour Georges Batailles, le « Miracle de Lascaux » est équivalent au « miracle grec », tant il est possible d’être subjugué par ces extraordinaires compositions qui nous dépassent sur bien des points. Bien que la grotte de Lascaux soit célèbre en France, considérée comme l’un des tout premiers monuments artistiques de l’histoire des hommes, symbole du passage de l’animal à l’homme, « le lieu de notre naissance » parce qu’il « se situe au commencement de l’humanité accomplie », elle n’est pas véritablement, au sens chronologique, le témoin du commencement de l’art. Les représentations seraient datées de « seulement » 17 000 années, malgré l’absence de datation directe des pigments. 

En Australie, un dessin de cochon sauvage, récemment découvert dans une grotte, pourrait dater d’environ 45 500 avant J.-C., selon l’analyse des dépôts minéraux. D’autres peintures rupestres, plus récentes, représentant une chasse au buffle et datant d’environ 44 000 ans av. J.-C. avaient déjà été découvertes dans la même région en 2019 et attribuées à l’Homo sapiens. Il pourrait donc s’agir de la plus ancienne peinture rupestre au monde, même si des chercheurs avaient auparavant découvert en Espagne, en 2018, des peintures rupestres datant d’environ 65 000 ans av. J-C, pouvant être attribuées à Neandertal. En comparaison, la plus ancienne peinture préhistorique retrouvée à ce jour en France métropolitaine date de 34 000 av. J.-C. 

 

Photo : Agathe Design Studio, Lascaux, 2021, Tous droits réservés.

Les capacités créatrices. Fondements et perceptions

Le cerveau et les hypothèses biologiques actuelles

Pour les spécialistes de l’art préhistorique du XXe siècle, (Vialou 1987 ; Anati 1989) l’art apparaît il y a seulement quelques dizaines de millénaires, vers la fin de l’histoire de l’évolution humaine qui s’étend sur près de trois millions d’années. Ce changement est perçu comme un progrès évolutif, ayant un fondement biologique. Il s’agirait de la marque distinctive exclusive du type humain ultime, l’Homo sapiens sapiens, l’Homme moderne.

Le point de vue classique décrit les hommes antérieurs aux Hommes modernes comme étant incomplets et ayant une inaptitude intellectuelle et spirituelle, donc incapables de créer de l’art, étant donné que généralement, on considère que ce type d’expression artistique était liée aux croyances.

Pour certains chercheurs (notamment ceux appartenant à la « Psychologie évolutionniste »), la créativité des hommes au début du Paléolithique supérieur serait liée à l’apparition de nouvelles capacités cognitives, permettant le passage « d’une intelligence sectorielle ou spécialisée » à une « intelligence généralisée ».

Les hommes de Neandertal n’auraient été capables que d’analyses ponctuelles répondant à chaque besoin immédiat de la vie quotidienne, alors que l’Homme moderne aurait été apte à la synthèse et l’élaboration de concepts généraux, dépassant les nécessités immédiates. C’est donc selon cette même théorie que l’origine de l’art accompagnerait l’essor du langage articulé.

En parallèle des avancées cognitives, l’art devient un moyen de communication entre les hommes et leurs croyances. Au-delà de leur existence, quel rôle jouaient ces œuvres dans la société de l’époque ?

L’art comme mode de communication

Georges Batailles définit l’art comme le début de l’hominisation. D’abord perçu comme primitif et essentiellement figuratif, l’art rupestre traduit une volonté d’expression visuelle : il ne se contente pas de représenter la réalité, il la met en scène, s’adresse aux autres hommes, voire aux divinités, dans une tentative de dialogue visuel universel. Jusqu’en Australie, il est considéré comme un système de communication.

Entre 45 000 et 35 000 ans, selon les régions du monde, l’art résulte de la rencontre d’une capacité et d’un besoin; l’aboutissement de plus de deux millions d’années de production et de concrétisation d’images mentales.

La capacité cognitive : capacité innée de l’esprit humain à produire des images mentales et des symboles, fruit de millions d’années d’expériences accumulées.

Les besoins nés de contextes locaux particuliers, par une confrontation d’humanités différentes, des changements du milieu naturel, etc., provoquant des croyances et des pratiques rituelles.

Il a en effet été constaté que dans les régions et époques où les conditions de vie étaient les plus dures, le territoire artistique était plus vaste. Dans les contextes les plus hostiles, la cohésion sociale se renforçait naturellement, façonnant un même style d’art rupestre.

En revanche, dans des milieux favorables, comme près des côtes, où la population augmentait, les tensions sociales se développaient plus facilement. Les territoires tribaux se rétrécissaient, les identités sociales locales s’affirmaient et la régionalisation des styles apparaissait et se renforçait.

« L’appropriation territoriale,
l’identité culturelle et ethnique
s’affirment dans l’art des parois
qui affiche les idoles
et les styles particuliers
dans lesquels chaque groupe
se reconnaît différent des autres »
Michel Lorblanchet

Photo : Agathe Design Studio, Lascaux, 2021, Tous droits réservés.

Percevoir l’art à la préhistoire

L’art aurait commencé avec l’Homme, ou peut-être avec son prédécesseur direct, l’Australopithèque, il y a plus de trois millions d’années. L’ocre a commencé à être collecté il y a 1,5 million d’années ; l’opération de la cuisson, permettant de modifier et maîtriser la couleur, est réalisée dès l’Acheuléen, il y a 400 000 ans.

L’histoire raconte qu’un jour, en Afrique du Sud, à Makapansgat, un Australopithèque aurait rapporté dans son habitat un galet rouge dans lequel il avait reconnu un visage humain. Dès lors, dans la perception du monde qui l’entoure, il avait conceptualisé une image imitant la réalité, il avait vu dans ce galet ce qu’il lui paraissait être une imitation de sa propre perception de la réalité et avait fait le choix de capturer cette image pour en faire sienne.

Certains chercheurs avancent que l’homme de Cro-Magnon aurait découvert ses capacités artistiques par l’observation de phénomènes naturels : en observant le pouvoir de figuration de phénomènes naturels, tels que les pierres ressemblant à des visages, les accidents rocheux, les fossiles, les empreintes animales et humaines (traces de mains, marques de décarnisation sur les os, etc.). Les créations artistiques auraient été à leurs débuts des « marques de l’esprit sur la nature » où l’homme s’en appropriait les productions hasardeuses.

En capturant la beauté des formes accidentelles, l’homme a le pouvoir de créer. Ce goût pour l’imitation serait le fondement des premières réalisations artistiques par l’homme moderne.

« L’homme est captif
de la trame où il est tissé »
Caillois, 1987

Nous percevons, plusieurs milliers d’années plus tard, ces créations humaines, les jeux de matières, de couleurs et de formes, tout en ignorant leurs buts et contenus. Notre regard actuel sur ces œuvres est-il fidèle à leur réalité originelle ?

Percevoir l’art aujourd’hui

De nos jours, l’émergence de l’art au début du Paléolithique supérieur est considérée comme une « révolution », ou mieux même, comme une « explosion créatrice ».

Bien que Lascaux ne soit pas considérée chronologiquement comme la toute première apparition d’une forme d’art comme on l’entend, Georges Bataille a en partie raison lorsqu’il décrit « sa cavalcade d’animaux se poursuivant », sa « spectaculaire étendue d’images couvrant ses surfaces rocheuses » : ce somptueux accomplissement esthétique peut être, lui, considéré comme un commencement. En cela, Lascaux est la preuve des plus hautes capacités créatrices des hommes.

La notion d’“art” possède une histoire complexe et demeure, aujourd’hui encore, sujette à débat. Pour les artistes et écrivains européens contemporains, comme par exemple André Breton, Georges Bataille, Pablo Picasso, cette beauté dont on est subjugués dissimule un message insoupçonné, auquel s’accrochent inexorablement les préhistoriens, que peuvent contenir de telles images. Pour d’autres, il faudrait, a priori, se méfier de ce discours esthétique moderne, qui tend à déceler dans les images des parois autre chose que leur beauté esthétique et leur qualité formelle. « L’étude de l’art rupestre doit s’efforcer de recréer la perception et l’usage des images par les peuples du passé. »

Toute la question est là : nous percevons ces images avec nos yeux contemporains, dans un environnement radicalement différent de celui dans lequel elles ont été créées. Nous projetons sans le vouloir nos propres perceptions, nos propres légendes et nos histoires dans ces images sans cartels.

Ces interrogations contemporaines prennent un relief particulier lorsqu’on considère la fermeture de Lascaux au public et la substitution de ses reproductions.

Photo : Agathe Design Studio, Lascaux, 2021, Tous droits réservés.

Conclusion : entre authenticité et transmission

Découverte en 1940, la grotte de Lascaux a été fermée au public en 1963 sur une décision d’André Malraux. Ce que l’on peut visiter aujourd’hui est une reproduction virtuelle des peintures et gravures rupestres dans un environnement artificiel mais reproduit à l’identique.

Bien que reproduite à l’identique grâce à des techniques perfectionnées et aux pigments d’origine, l’expérience de visite reste marquée par un désarroi lorsque l’on apprend que nous ne nous trouvons pas véritablement en communion avec nos ancêtres, beaucoup de visiteurs expriment un sentiment de rupture avec l’authenticité, regrettant de ne pas accéder directement à l’authenticité des œuvres.

La véritable expérience esthétique ne semble possible qu’au contact direct des œuvres originales. Mais serions-nous encore capables, aujourd’hui, d’en saisir toute la portée dans leur contexte d’origine ? Notre perception des images, loin d’être neutre, n’est pas un trajet direct entre le mur et l’esprit ; elle est sans cesse modelée par notre environnement, notre histoire, nos émotions. Plus qu’un témoignage du passé, l’art préhistorique nous rappelle combien nos regards, même millénaires plus tard, demeurent profondément humains.

Premier relevé du plafond aux polychromes d’Altamira,
publié par M. Sanz de Sautuola en 1880

 

 

Bibliographie

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